La longue marche: Le planning familial et la contraception

« Au terme de mes études de médecine, compte tenu de tout ce que j’avais connu, enduré (la guerre, la persécution, la chasse à l’homme) puis constaté (injustices sociales, hôpitaux, etc.) je résolus de consacrer la moitié de mon temps au traitement de la société ou à son redressement au moyen des disciplines acquises. Une demie journée pour « gagner ma vie », une demie journée pour soigner la société » trouve-t-on dans le Liber Mutus.
L’objectif du groupe Littré, formé en 1953 à Genève, est d’amener la société à reconnaître la liberté de la conception, ce qui revient à permettre aux femmes de disposer librement de leur corps. Rassemblant médecins et libres-penseurs, ce cercle prend conscience du problème social et politique que va constituer le contrôle des naissances. Un voyage en Chine, où règne la planification des naissances, achève de convaincre Pierre Simon de la nécessité de faire marcher d’un même pas les avancées de la science et celles de la législation. C’est à Londres auprès de l’International Planified Parenthood Federation qu’il va alors chercher les instruments pour transmettre la bonne parole. Il rend hommage aux femmes pionnières, les Margaret Stanger, Elise Otessen-Jensen, Helena Wright qui, les premières, se dressèrent dès 1912 contre « un pouvoir borgne, des hommes durs, des juges impitoyables, des prêtres et des médecins bornés » (DVTC p. 89).

Il faut alors briser la loi du silence entretenue par l’Ordre des médecins. Pour ce faire tous les subterfuges sont autorisés.

Observateur de son temps, Pierre Simon n’est pas tendre avec les siens. « Il fallait voir l’équipe de ces Anglaises. Je les ai rencontrées sur tous les continents, souliers de fantassins, sacs en bandoulière, chapeaux sur les sourcils, balançant leurs parapluies – réminiscence du stick de l’armée des Indes – entre deux divinités orientales ou andines, lorsque les congrès nous laissaient une heure de répit. (…) Grand-mères, je vous salue. Les femmes vous doivent beaucoup. » (DVTC p. 90). L’effritement de la famille élargie, l’émancipation économique de l’individu laissent augurer d’un changement dans des sociétés où la régulation des naissances était encore prise en charge par les religions. Il apparaît donc nécessaire d’accompagner celui-ci d’une émancipation intellectuelle. La contraception doit à ses yeux jouer un triple rôle : préserver le patrimoine génétique de l’humanité, permettre une gestion qualitative de la vie et dessiner le nouveau modèle familial.

Il faut alors briser la loi du silence entretenue par l’Ordre des médecins. Pour ce faire tous les subterfuges sont autorisés : se placer sous la houlette d’autorités scientifiques mondialement reconnues comme le Pr Howard Taylor jr, médecin-chef du département de gynécologie de l’Université de Columbia, consultant numéro 1 des Nations-Unies pour les problèmes de reproduction humaine, intéresser les journalistes réunis en cachette pour des conférences de presse contournant ainsi l’interdiction faite de communiquer sur les affaires de contraception. Ne pas craindre, en somme, de se mettre publiquement en contravention avec la loi, en risquant la prison comme lorsqu’au retour de la conférence des spécialistes mondiaux de la contraception, tenue à Singapour, Pierre Simon ramène dans ses bagages pour le présenter à la presse, le IUCD (Introduction Uterine Contraceptive Device ), non sans avoir rebaptisé auparavant ce « bidule contraceptif intra-utérin » du nom de “stérilet”. Le terme sera repris le lendemain dans Le Monde sous la plume de Cl. Escoffier-Lambiotte. Le stérilet était né.
Il n’en demeure pas moins que la loi du 31 juillet 1920 continue de confondre sous un même chef d’inculpation avortement criminel et propagande anticonceptionnelle. Tout l’effort de l’équipe qui entoure M-A. Lagroua Weill-Hallé et Pierre Simon va consister, dans un premier temps, à découpler les deux. Agissant semi-clandestinement, entre 1955 et 1962, le Planning familial va former quelques 600 médecins aux techniques de contraception dans son local du 2 rue-des-Colonnes, inauguré par Coen Van Emde Boas, psychiatre de renom et titulaire de la première chaire européenne de sexologie. La vente de produits contraceptifs étant illégale, il faut les ramener d’Angleterre. Pierre Simon et son célèbre chapeau melon sont donc de voyage tous les week-ends. Au premier douanier qui l’arrête, celui-ci confie un diaphragme et du spermicide non sans lui en avoir expliqué l’usage. Quant ils ne sont pas consacrés aux voyages outre-Manche, les week-ends se passent pour l’équipe du Planning à aller porter la bonne parole dans les villes de province et à poursuivre la formation de leurs cadres. 1961 marque ainsi l’ouverture du premier centre régional de Grenoble par le Dr Henri Fabre. La fin des années 1950 marque également son installation dans la vie privée. Il épouse en juin 1958 Jackie Naggar, issue d’une longue lignée de juifs égyptiens, femme de lettres qui l’accompagna dans ses combats (Fâner les coqs, 1976 ; Paroles d’absence, 2000), décédée en 1997, – leur fille Perrine naît en août 1960 – et débute son activité privée au cabinet du 120 boulevard Saint-Germain.