La science accélère l’histoire

L’après-guerre est également un temps d’épreuves. À l’hôpital Bretonneau où il est interne en gynécologie dans le service du Pr Robey, Pierre Simon découvre la misère de la condition des femmes et leur souffrance. Il prend conscience de la manière dont les attitudes ancrées dans la tradition et les préjugés sociaux se conjuguent pour maintenir la médecine dans une certaine arriération. La souffrance des femmes n’est-elle pas inscrite dans la Bible ? Le sadisme de certains médecins sous la houlette de l’Ordre dont il n’aura de cesse de dénoncer l’origine vichyste, achèvent de le convaincre qu’il y a là la nécessité d’une intervention qui ne peut manquer de faire bouger les choses.

1953 est l’an I de l’accouchement sans douleur. Pierre Simon se rend à Léningrad en pleine glaciation au sein d’une délégation d’étudiants parisiens grâce à Louis Joxe, alors ambassadeur de France en URSS. À l’Institut Pavlov, le Dr Nikolaïev pratique la technique de l’accouchement sans douleur, vérifiant l’impact de la perception du social sur  le physiologique. Percevant l’usage philosophique qu’il est possible de tirer des avancées produites par les techniques médicales, Pierre Simon, à l’aide de quelques-autres comme Pierre Vellay, gendre de Jean Dalsace, rapportent en France les éléments techniques de l’Accouchement Sans Douleur (A.S.D.). Il a conscience, dès les début de l’ASD, que pour qu’une femme accouche bien, il faut traiter son milieu. Il place ainsi ses pas dans ceux du Dr Fernand Lamaze qui s’était avant tout le monde intéressé aux travaux de Nikolaïev et avait introduit ses techniques à la clinique des Bluets, clinique des métallos de la CGT.

Il va se heurter à de fortes oppositions. Celles-ci ne viennent pas seulement du corps médical mais s’étendent à l’ensemble de la société. Il n’est pas facile d’être un pionnier dans une société encore sous l’emprise de traditions culturelles et religieuses fortement ancrées. Il n’est pas facile de ramener d’URSS de nouvelles techniques en pleine guerre froide. Pourtant le bouche à oreille fonctionne et il commence à se dire qu’aux Bluets on n’accouche pas de la même façon.

Percevant l’usage philosophique qu’il est possible de tirer des avancées produites par les techniques médicales, Pierre Simon rapporte en France les éléments techniques de l’Accouchement Sans Douleur.

Le 8 janvier 1956 Pierre Simon et ses amis reçoivent un soutien inattendu en la personne du Pape Pie XII, allié de poids dans cette lutte pour la vie et contre la souffrance. Au lendemain de son élection à la tête de la Grande Loge de France, Pierre Simon délivrera une conférence de presse qui sera un «éloge de Pie XII », non sans rappeler les silences de ce Pape pendant la guerre. Il avait le goût du paradoxe. Ce sont également les années d’entrée en politique : au Club des Jacobins qu’il fonde en 1951 avec Charles Hernu, puis au sein du parti radical-socialiste, le parti de Léon Bourgeois, homme de science et franc-maçon, surtout à l’époque le parti de Pierre Mendès France, qui incarne alors la vertu et le courage politique et porte les espoirs d’une société qu’il fallait mener à la maturité politique, entre les dangers d’un gaullisme jugé infantilisant et d’un marxisme liberticide. Il quittera le parti radical le jour de l’exclusion de Mendès France pour aller fonder avec Edouard Depreux le Parti Socialiste Autonome, ancêtre du PSU. Au sein du PSU où il milite ensuite quelques années il croise Michel Rocard, secrétaire de la section du VIe arrondissement. Le retour au Parti radical se fera en 1967 à l’occasion des élections législatives et dans le sillage de la FGDS pour laquelle il est candidat malheureux dans la circonscription du Val-d’Oise, alors fortement ancrée à droite, sans qu’il songe néanmoins à devenir un professionnel de la politique. Il tente, à la fin des années soixante, de faire élire Jean-Jacques Servan-Schreiber à la tête du Parti Radical sans y parvenir.
Pierre Simon avait trouvé son credo : politique et médical interagissent, et leur lien étroit permet à la fois au corps physiologique et au corps social d’avancer.