Un solitaire très entouré : réflexion sur l’éthique

Premier expert nommé auprès la Cour d’Appel de Paris en matière de sexologie, il poursuit, au cours des années 1980, son action en faveur d’une nouvelle gestion du concept de vie en militant en faveur des techniques de procréation médicalement assistée mais en œuvrant aussi à la réforme de la période de la fin de vie. En 1980, Pierre Simon crée, avec le sénateur Henri Caillavet, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité qu’il animera durant un certain nombre d’années.

Dans les années 1990, il étend la réflexion scientifique à la sociologie. À la demande de François Mitterrand, en 1989, lors du 200e anniversaire de la déclaration des Droits de l’Homme en Sorbonne il prononce un discours : « La maîtrise de la vie : un nouveau droit de l’homme », dans lequel il montre comment la gynécologie, en particulier par son implication législative, a su rendre la société française adulte. Intrication interdisciplinaire : science-politique-maturité nationale. En novembre 1991,  devant 900 gynécologues réunis aux Journées de fertilité et d’orthogénie, il développe, à travers un discours intitulé « Notre discipline naquit du refus », l’impact du médical sur la transformation de la société. En 1993, il est nommé Président du 4e séminaire de sexualité humaine et de gynécologie psycho-somatique et mêle les niveaux de réflexion à travers une réflexion intitulée « la gageure de vivre ensemble : un parcours initiatique ». Durant toutes ces années, il suit la mise au point de nouvelles molécules contraceptives En 2001, il organise et préside le Congrès mondial de Sexologie à Paris, un congrès qu’il souhaite pluripartite. Enfin, il est nommé administrateur de l’Institut Alfred Fournier.

Pierre Simon fut d’abord un homme des lieux. La rive gauche où il avait planté ses racines, entre bistrots et librairies, une fois pour toutes et l’appartement du boulevard Saint-Germain d’où il contemplait la capitale en ses quatre points cardinaux. Montparnasse et Saint Germain-des-Prés qu’il fréquenta à l’époque des peintres et des écrivains. La Brasserie Lipp, à proximité de chez lui, où se retrouvèrent pendant plus de trente ans, tous les soirs, représentants du monde politique et de la société civile. Bien plus tard, au moment de la chute du gouvernement Chaban-Delmas, Pierre Simon posera ses bagages dans le Vexin français où un grand compas maçonnique orne la cheminée à la place qui était la sienne dans l’ancienne demeure de Claude Autant-Lara.

« Telle est, à mes yeux, la seule façon d’aimer vraiment la vie et de la partager avec les hommes, mes frères »Pierre Simon

Il fut un homme des îles, passant tous les étés depuis le début des années 1960 sur l’île de Port-Cros, au « Manoir », où il partageait une bergerie avec Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud et où sous la houlette de Madame Henry d’abord, puis de Pierre Buffet, se réunissait une société amoureuse des lettres et des arts. Il y fit, notamment, la connaissance d’Eugène Claudius-Petit, grand résistant et ministre du général de Gaulle qui lui apporta son appui du haut de la tribune de l’Assemblée lors du vote de la loi Neuwirth. L’île Maurice où il avait implanté la franc-maçonnerie avec le concours de l’un des grands médecins de l’île, le Dr Elias Cadinouche auquel le liera une longue amitié. La Caraïbe dont il aimait la luxuriance, à travers les vers de Saint-John Perse, et la force du rhum, et les îles Moustique et de Saint-Barth dont on lui avait, un temps, proposé la mairie.

L’appartement parisien enfin, la collection de maternités pré-colombiennes et le bureau où, assis dans le fauteuil de l’empereur Guillaume II arraché aux Allemands et récupéré de la demeure paternelle, devant la longue table en chêne, il partagea durant cinquante années les confidences de milliers de patientes, maillon intermédiaire entre la main de Bouddha et la statue du moine. Entretenant avec chacune un lien particulier, il puisait dans la richesse de son métier de gynécologue-obstétricien la force de ses combats. Il fut également un homme de tradition, s’inscrivant dans la longue chaîne du judaïsme, heureux de pouvoir transmettre à ses petits-enfants, Joachim (né en 1988) et Anaïs (née en 1990) dont il fut très proche à la fois l’amour des hommes et de la culture. « La pensée initiatique n’a (..) cessé d’éclairer mon cheminement, de donner un sens à mes recherches. Elle m’apprit à réexaminer la mort qui fournit à la vie ses contours. À déceler aussi qu’un ordre préside à l’agencement du monde et que chacune de nos actions peut y contribuer. Enfin, que toute la science humaine ne vient à bout de la vérité qu’en s’inscrivant dans le livre de la Tradition. » (DVTC p. 17).
S’il ne rechercha jamais les honneurs de la République, Pierre Simon bénéficia jusqu’à la fin de sa vie de l’aura du grand médecin et du maçon qu’il avait été. Il fut fait chevalier de la Légion d’Honneur en juin 1997 après l’avoir refusé à plusieurs reprises, puis officier sur proposition du Président de la République en janvier 2008, mais mourra avant d’être décoré.

Le dernier livre auquel il travaillait s’intitule La Brèche. Il s’agissait pour lui à la lumière du demi siècle écoulé de montrer comment le sociologique peut avoir un impact sur le physiologique. Fondateur de l’ADMD, il lutta jusqu’au bout contre un cancer, soutenu par son amour de la vie. À travers d’ultimes rencontres, Pierre Simon aura eu la chance de se reconnaître des héritiers, porteurs du souci qui était le sien pour ses contemporains. En 2007 à l’instigation du Pr Emmanuel Hirsch, directeur du secteur éthique de l’AP-HP, est créé le Prix « Ethique et société Pierre Simon » qui place au centre de sa démarche le concept de « vie » et l’éthique comme vision philosophique générale de la valeur de l’homme. Le 17 novembre 2007, le premier Prix est remis en sa présence à la faculté de Médecine.  Aux côtés de l’équipe qui a œuvré pour ce prix, et dont il a partagé les travaux la première année, Pierre Simon a pu avoir ainsi le sentiment d’avoir transmis le flambeau. Celui qui avait décidé de consacrer une partie de son existence à rendre la société plus adulte écrivait : « Je puis affirmer, tête haute, que du premier au dernier jour, j’ai tenu ma promesse. Je quitterai ce monde tête haute et espérant que de nombreux frères et confrères saisiront le relais. »
Tel est le testament qu’il nous laisse. « Cette vie qui nous vint si longtemps d’un souffle de Dieu posé sur notre argile, c’est comme un matériau qu’il faut la considérer désormais. Loin de l’idolâtrer, il faut la gérer comme un patrimoine que nous avons longuement, patiemment rassemblé, un héritage venu du fond des millénaires, dont nous avons, un instant, la garde. Telle est, à mes yeux, la seule façon d’aimer vraiment la vie et de la partager avec les hommes, mes frères. »